
LE CHIEN DANS LA VILLE
La présence du chien dans la ville est un sujet de récrimination permanente de la part de nos concitoyens. On lui reproche souvent d’être malpropre, agressif, bruyant, importun. Il est pourtant, pour de nombreuses personnes, un compagnon indispensable qui participe de leur équilibre de vie.
Tout commence il y 15000 ans lorsque le loup gris trouve plus confortable de s’approcher de l’homme alors chasseur cueilleur plutôt que de se livrer à des traques épuisantes de proies incertaines. Rapidement les deux espèces vont converger dans l’utilisation de leurs compétences réciproques, l’une augmentant les capacités de l’autre dans la recherche des ressources indispensables à la survie.
Dès cette époque il s’établit une relation très spéciale entre le chien et l’homme. Les fouilles archéologiques présentent plusieurs tombes dans différents continents dans lesquelles sont inhumés l’humain et le canidé de manière intime. Dans ces sépultures de plus de 7000 ans on trouve parfois notre ancêtre et son animal fétiche portant des ornements vestimentaires partagés et des bijoux similaires. Dès le début de cette domestication il existe une relation mystique entretenue de nos jours par les légendes et les Chamanes animistes qui nous expliquent que l’homme et le chien, dès cette époque ne sont qu’une dyade complémentaire, un couple, dont la survie et le développement dépendent de l’attention que l’un porte à l’autre. C’est un peu plus complexe que la simple commensalité.

Cette relation va se poursuivre jusqu’à l’époque industrielle, le chien se spécialisant au service de l’homme dans de nombreuses tâches : la chasse bien sûr, la sécurité du partenaire et de ses propriétés, l’élevage… Aujourd’hui la traque de la COVID 19.
Pour gagner en efficacité, l’industrialisation va concentrer les populations humaines dans des cités de taille de plus en plus importante ; les familles vont sortir de la vie rurale et entrer dans la vie citadine avec leurs compagnons. L’après-guerre de 1944 est significativement représentatif de ce mouvement pour le moment irréversible ; le chien, lui, dans cette mouvance a de plus en plus de mal à s’adapter à ce milieu de vie qui ne correspond plus à ses aptitudes : pas de contacts avec ses congénères, environnement de plus en plus à son sens inhospitalier, relation à l’homme de plus en plus distante. Ses comportements de base, nécessaires à son équilibre, tels que l’exploration, la reproduction, l’opportunisme alimentaire, la socialité envers les congénères, lui sont progressivement interdits. Bien sûr, sans penser transgresser des règles, il essaye dans la ville de satisfaire ces besoins vitaux incommodant de ce fait le citadin qui n’a pas ou plus les mêmes exigences de vie.
Dans le monde occidental et dans les années 1950 la convivance des deux espèces dans l’espace citadin devient difficile au point qu’une législation sur la détention de chiens va encadrer leur comportement et les obligations de leurs propriétaires ; c’est aussi, en France, le point de départ de l’évolution du code rural sur le sujet et de l’ouverture des fourrières municipales.
Ainsi la ville veut s’aseptiser de la présence des chiens. La population se répartit dès lors en trois catégories de personnes à peu près égales : ceux qui haïssent les chiens soit parce qu’ils en ont peur soit qu’ils aient eu à subir une agression canine plus ou moins grave bien souvent dans leur enfance, soit qu’ils n’en aient jamais rencontrés ; ceux que les chiens indiffèrent tant qu’ils ne produisent pas de nuisances majeures ; enfin ceux qui éprouvent encore ce besoin atavique de maintenir ce lien si important voire vital hérité de nos pères, et essentiellement issu de la ruralité, le raccord à un peu de vie naturelle.
De nombreuses études scientifiques nous montrent que vivre avec un chien est physiologiquement et psychologiquement bénéfique pour l’humain tout simplement parce qu’une relation amicale et durable, peut-être indestructible, s’établit entre les deux partenaires. On pourrait dire simplement que « le chien ramène les pieds de l’homme sur terre » ; on constate alors scientifiquement un gain significatif d’espérance et de qualité de vie des propriétaires.
La société que nous nous construisons est de plus en plus déstabilisante pour ses propres membres ; recherchant la satisfaction permanente de ses envies l’homme devient de plus en plus individualiste au détriment de sa propre vie communautaire. Il confond le plaisir et le bonheur. L’homo sapiens du XXIème siècle n’est plus social : il est devenu consommateur de l’immédiat, il ne sera plus jamais heureux.
Le chien, lui, reste fidèle à son mode de vie originelle : pour lui la socialité prime si l’on veut garder son équilibre et perpétuer son espèce ; c’est la raison pour laquelle l’homme a besoin de ce compagnon : déstabilisé, il retrouve son équilibre à son contact. Dès lors on comprend pourquoi le tiers de nos concitoyens recherche l’animal de compagnie.
Bien sûr chacun est libre du choix de son compagnon humain, chien, chat ou autre ou de sa propre solitude ; le chien, lui, n’évalue pas notre personnalité : il accepte nos défauts et nos humeurs avec une tolérance remarquable et même dans les moments difficiles il ne nous laisse pas tomber, il n’utilise pas les réseaux sociaux pour se valoriser, il est tout simplement invariant, il ne nous juge pas. Il est le compagnon de ceux d’entre nous qui ont le plus de difficultés comme de ceux qui sont en pleine santé morale ou physique.
C’est pourquoi, dans l’intérêt de tous, il est nécessaire que ce compagnon trouve sa place dans la vie citadine, celle qui concerne aujourd’hui une majorité d’entre nous. Le chien de nos cités occidentales n’a plus de milieu de vie naturel. Son milieu de vie est devenu l’homme lui-même dans toute sa diversité et dans la complexité de la cité. Pour notre bien à tous il est essentiel que les propriétaires de chiens apprennent à évoluer dans la ville de manière citoyenne et amicale. Il est essentiel que leurs chiens, et plus généralement leurs animaux de compagnie, acquièrent un comportement adapté à la ville. Il est essentiel que les personnes n’ayant pas de chiens voient en lui un facteur d’apaisement de la vie sociale. Il est essentiel que les cités dans leur conception s’adaptent aux nécessités vitales et éthologiques de nos groupes maîtres et chiens, participant ainsi d’une relation urbaine apaisée.
Jean-Claude ARNAUD
Tess Auclair des Loups